Nadège Ango-Obiang

Les Sabots De La Rose

   Comme un frisson, je me perdis en moi. Particules malmenées sur les pétales d’une fleur, je me fondais dans le chaos inéluctable. Les orteils enflammés par la rage muselée de ne pas pouvoir me repaître de la sublimité infecte de mes désirs accomplis, le tapis flamboyant et reflétant les râles d’une perfide satisfaction se consumait sous mes pas, impatients. Même le tréfonds du lointain tressaillait de l’écho des craquements des flammes qui dansaient derrière ce qui restait de tapis à chacun de mes mouvements. Entre terre et absence de substance,  la transversalité de l’espace se recomposa en des groupements de morceaux de puzzles en conformité avec  les foudres d’une aura gourmande de mon enveloppe charnelle.
 
Derrière, à l’ombre du château des songes préfabriqués sur des soupirs condensés arrachés aux semelles griffues des mantes infernales, s’agitait un champ de queues de sonnettes des reptiles-fauves. Des yeux rouges, flamboyants, crépitaient sur toute la surface de la lourde porte faite d’une illusion sombre, épaisse, qui la rendait noire, faisait croire en une consistance de bois sans trahir le ventre jamais comblé de feue-vivant Nuée des enfers. Il aurait été discourtois de ne pas caresser, dans des étapes exigées, avec la cérémonie adéquate, cet abdomen, garant de la porte passagère qui permet, à défaut de le fouler, de respirer le pont de souffre orné en des pétales vibrantes et suspendues de roses de cristal. Le pénétrer d’une main gauche cruelle d’aspirations aux limites outragées, comme le posséder, entrailles et fluides des âmes confisquées aux hommes de piètres ambitions.  La pointe épineuse de la colonne lombaire serrer par la rage jalouse de ne pas le sentir glisser par la faute de ce sang si abondant dans les viscères de l’enfer, j’entrais dans les tourments de feue-vivant et, avec ravissement, me laissai sombrer dans les souterrains  des rebus du nœud du monde inférieur.   
 
Ainsi le veut la loi des Anges autrefois entêtés en des logiques d’ânes : « Priez ou pliez ». Victorieux insatiables, mes pieds s’enfonçaient sur les échines offertes de ces autres en des pavés de gloire  toujours aimant et sans artifices illisibles.  Paré  par le dessein obscur de tout éventré pour punir l’outrage fait à mon autorité par cet adversaire à peine au crépuscule de son mal, j’observais au bord de ces corps décharnés le précipice d’ossements et de putréfaction dont on ne pouvait sonder la profondeur des immondices. Un superbe vagissement titilla le pavillon de mon oreille. C’était le bruit des dents des entrailles de Nuée des Enfers rejetant le gaz des délices que j’ai offert, dans un sarcophage subtiles d’abominations nées des ruses infiltrées dans les innocentes intentions de tous ces êtres communs qui pilules sur la terre. Comblé par la reconnaissance du plus haut dans la langueur du vice sans limites, mes orbites s’abaissèrent jusque sous mes pieds. Colonies de corps putréfiés,  dunes de boues de chairs indigérées,  exquise délectation  de vie dont le sang séché et pourrie taquinait l‘ abondante toison de poils dont étaient pourvus mes narines. Tandis qu’à chaque pas, grinçaient les os, chuintait la pâte de viande humaine, battait la queue d’un reptile –fauve à mes côtés. Il était nécessaire de retrouver quitte à le déterrer cette bête sans confiance, dépourvue de la sérénité de l’usure du pouvoir chère au cercle des enfers.
 
Je m’approchai de l’étang des laves d’âmes. Comme un voile cornu, le fauve reptile se pencha et vomit contre le bord de l’étang une jeune fille d’à peine 18 ans. Un autre délice. Gavée de désirs inconscients, de volonté de dépravation, son amour de géhenne d’un instant m’avait, bien involontairement, ouvert ses voies les plus secrètes. Le reptile-fauves devint absolument reptile, puis se glissa dans l’étang. Sa chair brûla, se mit à se dissoudre lentement jusqu’à se que sa peau de reptile sombre forma un film, tel le filet superficielle d’un velouté ayant trop reposé. D’un coup sec, j’arrachai la tête de la gamine encore consciente. De son cou, un autre velouté de pure existence, chaud et puissant, en jaillit et se répandit sur la peau frémissante du reptile dans le bassin. Jetant le corps désormais inutile, l’hommage à ce qui fit de moi un démon s’imposa, telle une harmonie de mots, une inépuisable verve dont la diction suave et lente conférait tout pouvoir au malheur que je convoitai. Comme des ailes, des flammes enrobèrent mes épaules. Entre mes lèvres épaisses et fendillées surgit une double langue bien accompagnée d’une mâchoire sans dents. Chaque particules de mes gencives était recouverte d’un liquide acide qui, à présent, dégoulinait tant mon appétit était grand. Tandis que mijotait le sang juvénile de cette proie encore endormie, ma langue entoura son crâne, mes acides fondirent la chaire et je me mis à dévorer ce festin mis au chaud par le fauve reptile. Aucun lambeau de chair ne m’échappa, sauf les os. Au son de mon rot de satisfaction, la peau du reptile remua, et se retourna, jusqu’à recouvrir entièrement le sirop de sang dans la forme d’une épée longue et large. Dans un râle, je plantai le crâne dépouillé de la superficialité de ce Dieu plein d’orgueil  sur l’une des extrémités de l’épée fourrée de sang.  Une lueur bleue apparue au-dessus de l’étang comme une masse d’eau ondulante.
 
Un vent de râle et de grogne envahit la sphère morte expirant, comme un malade mendiant l’euthanasie, des sécrétions brûlantes, des salives  jaunes et oranges, des reflets noires qui, tout autour de nous recouvrait les restes des festins passés, mais utiles à mon atmosphère, vitales pour la fécondité de la mort. Entre les cuisses de la collation, s’infiltrèrent les lamelles de nappes des reflets sombres, rugissant  à chaque assaut offensif dans les entrailles rigides.  Se mit à bruire dans ma main le crâne qui s’assouplit, se fendilla jusque entre les deux yeux. Plongée dans le bac des conquêtes des esprits, la gorge de la victime se libéra enfin de la poigne des serres que j’avais tissé de mes trippes. Mon cœur ricana tant la joie des hurlements en différé d’un corps mort, d’un crâne dénudé, d’un esprit en mon pouvoir était d’une saveur incroyable. Une partie du sang confit et durci traversa le crâne vibrant et agité pour être fièrement tenu dans ma paume. L’aboutissement d‘un si minutieux sacrifice.      
 
La grande épée de sang, devenue très sombre, brandit vers le ciel de mes horreurs, déclencha un rugissement qui se fit entendre de l’intérieur de l’étang. Comme des poissons sautant au-dessus des eaux, des morceaux d’âmes virevoltaient, puis tentaient de s’échapper de l’étang. Mais les abords de l’étang généraient du feu au moindre contact. Un cri de fauve, strident et impatient fit frémir ces pauvres malheureux qui ne savaient décidemment pas qu’ils n’allaient jamais mourir dans la norme. Dans le sillage tracé par une eau enfin apaisée, surgit une biche d’un blanc immaculé. D’une innocence à troubler le plus perfide des damnés. J’aime l’humour des enfers.
 
La vertu à mes pieds, le feu de mes ailes s’éteignit. Je regardais ma main gauche et dans un râle, j’expirai profondément. L’intérieur de la paume se creusa, par déchirement. Les os de mes phalanges se découvrirent, noirs et striés. Puis vint l’illusion : des débris de forêts, des semis de plaines apparurent au plus profond de ma main. De subtiles nuages de fumée s’en échappèrent car, au loin, dans le prolongement de ce bras, un cratère se nourrissait, prenait vie. Comme une parodie de volcan, des flammes de plus en plus vives et denses s’élançaient et commençaient à faire entendre leur immense voracité. Les yeux à demi tournés vers le plafond, je ressentais chaque instant, chaque brûlure, déchirure, explosion, de ce monde tracé par mon esprit comme un bonheur inouïe. Je hais le bonheur. Ce plaisir, cette euphorie, qui perturbe toujours mon équilibre dont les paramètres sont faits pour casser, impitoyable, la chance de ceux qui peuvent vivre dans la mort. Un poison à un cœur déjà mort.    
 
Mm. La sainte biche est enfin dans les près. Je pouvais la voir à travers ma main. Nul besoin de regarder à mes pieds si elle y était encore. Ses sabots, aussi blanc que son pelage, foulaient maladroitement le royaume d’une seule et si infime partie de mon corps. Dans la plaine de plus en plus verdoyante, la biche blanche avança vers le cratère dont les parois immenses remuaient comme une poitrine en mouvement sous une respiration profonde. En diagonale, sur la gauche, à quelques mètres du songe en feu, la biche se figea et gratta de ses sabots le sol. Puis, elle prit place dans le trou, ses sabots serrés l’un contre l’autre. Aussitôt, à la place, une rose apparut. Comme un arbuste à une seule branche, la rose blanche majestueuse se tenait et se laissait bercer par le vent qui n’était rien d’autre que mon souffle.  De l’arbuste sortit la même biche, blanche, innocente, un air stupide de fragilité. Elle longea les buissons, arpenta la prairie, trouva un mince ruisseau fait de ma salive de dément. Comme un chien assit, elle s’installa.  Le monde conçut par ce grand Disparut, avait ses avantages. Dans les six étapes du commencement, il eut la femme. Et je l’avais trouvé. En digestion dans mon ventre.
 
L’impudence n’a de délectable que la sueur purulente qui précède, comme une marque infaillible, une imprudence dont j’honore  toujours le châtiment. Adversaire bien impétueux, saurais-tu démasquer la magie qui veille sur ton malheur ? Moisson immature, spectre imparfait encore indigne du couloir d’horreur conduisant aux enfers. Tu supposes lacérer de tes pieds, l’estrade maudite que des siècles de patience m’ont permis d’édifier ? Que féconde la femme réceptacle mais aujourd’hui semence. Que le sang de mes mains nourrisse les sabots, racines de la rose.  De ma main libre, je fis pression sur le centre du crâne jusqu’à ce qu’un cri de jeune fille vivante retentisse. Elle hurla tant que des ombres claires de son visage apparurent autour de sa tête décharnée. Agitée parce que souffrantes, les ombres de tête de ce qu’a été cette humaine se jetèrent dans cette même main qui créa un monde.  A travers le tintement de mes dents, je percevais le soupir de contrariété qui se répandait dans la chambre secrète des damnés. J’avais chanté l’oraison de guerre. Les pupilles trempées dans le ruisseau, je guidais le fantôme vers la biche immobile. Il suffisait d’une étreinte, ce qui fut fait. Que la robe de mousseline transparente d’un jaune d’eau de la morte effleure le ruisseau pour que la gueule de biche devienne une gueule de fauve qui, dans un rugissement, avala l’apparition fantôme pour disparaître dans le ruisseau. Sur le bord, un serpent blanc ondulait vers le rosier singleton. Il parcourut la branche de la plante et, au fur et à mesure, s’imbriqua parfaitement dans la fleur de la rose.
 
Des dessous de l’extrémité des sabots enfoncés dans la terre de chair, j’entendais racler, gratter, l’impatience issue des cloisons de carbones contenues par l’assoupissement toujours feints des Veilleurs  Fervents. Ceux dont Dieu lui-même ne doit jamais éveiller la méfiance.   Ceux-là même, dont l’ultime création transforma la surface superficielle des cieux en un tapis noir, d’où ruissela pendant un temps raisonnable pour nous, désastreux pour ces pervers junkies de la vertu, des gouttes de sang qui nourrirent une partie des enfers. Les Veilleurs Fervents étaient les fils de ce tapis noir.  L’histoire ne dit jamais qu’une guerre de purification eut lieu. Terrible, meurtrière, acharnée, désespérée. Né d’un incident que seuls les débordements de l’amour peuvent occasionner, le tapis noir, grâce à l’humidité pure de cette nouvelle création se mit en enfler. Et, pour avoir de la consistance, se nourrit des cieux et de ses substances. Anges, Archanges et d’autres soldats entreprirent de couper, dépecer ce tapis vorace, qui aurait pu atteindre les portes de leur royaume.  Privé de victoire, la morts des soldats du bien permis néanmoins au tapis amputé de façonner des êtres en s’appropriant leurs enveloppes. Les sabots de la rose, façonnés de la quintessence de la fille la plus pure que j’ai trouvée, était comme une intrusion de Dieu dans les affaires de l’enfer. Les Veilleurs Fervents reniflaient la rose blanche comme un morceau de ciel pur tombé sur leur territoire. Etrange comme les démons les plus aguerris pouvaient céder à des futilités. Des râles provenaient du ventre de Nuées des Enfers. Sublime tremblement qui annonce que quelqu’un est en colère. Ma main pesait sur les maudits. Une main couverte de l’ombre des compagnons de cet insolent. Ridicule qu’un démon ait comme blason la couleur blanche, faite de la pureté des anges réincarnés dans des enfants de moins de deux ans.  J’avais fait mieux. Je possédais l’âme d’une descendante de la lignée des saints ayant traversé la terre. Faible, j’en conçois. Puisque cet être qui m’horripile par la vexation qu’il m’a causé, l’a possédé sans que cet embryon des lumières ne s’en aperçoive. Il  était à elle. Donc, elle était lui.  Et cette rose blanche répandait son propre fluide dans les souterrains les plus interdits. Les sabots résonnaient comme ce stupide cheval blanc dont il se sert pour entrer chez les vivants et se faire passer pour ce qu’il a été, et cacher ce qui l’a perdu. La voracité des chairs. Le venin de serpent blanc dégoulinait des pétales de la rose  blanche. Comme une sainte forniquant enfin en enfer. Chaque goutte du liquide visqueux de cette femme était un venin à l’abomination de mes frères.
 
Ma main devint rouge.  La rage des Veilleurs Fervents avait reconnu en l’odeur de rose les reliefs du repas que je m’étais offert, c’est-à- dire que l’autre était supposé avoir dévoré.  Dans un grand éclat de rire, je savourais le bruissement de l’impatience du ventre de Nuée des Enfers.  Griffes sorties, crocs agressifs, il avait déjà ordonné que le coupable de la corruption de l’impureté des lieux soit châtié. A l’abri dans son ventre, j’aurais pu mourir de rire, mais il me fallait à présent disparaître. Je m’approchai de l’étang des laves d’âmes et, plein d’ironie, je leur tendis la main. Cruel, le désespoir de ne pas se savoir mort. Ils étaient dans un rêve, pensant se débattre dans un monde imaginaire peuplé de démons sanguinaires et indescriptibles.  Bel et bien morts, ces résidus de sacrifices. Mais comme des forces de la nature, ils se jetèrent sur la main pensant pouvoir sortir de l’étang. Cet assaut d’une survie illusoire se transforma, dans la prairie que j’avais inventée et pour les damnés dérangés, en une riposte de celui dont j’avais causé la haine et la défiance.  Sous la pression, ma main se coupa et tomba dans les laves. Mon sang noir coulant brûla, dissolvant toutes les chances pour cette épine à mon autorité de me démasquer.
 
L’épée de sang recouverte de peau de serpent fut de nouveau trempée dans le lac d’âmes, jusque dans les traînées laissé par mon sang. Des tâches noires se posèrent sur cette arme biologique. Démon immaculé apprendra, même tenaillé par la faim de chairs humaines et de luxures terrestres, à ne pas arracher les yeux de mes reptiles pour entrer dans le ventre de Nuées des Enfers, avant moi.  

Todos los derechos pertenecen a su autor. Ha sido publicado en e-Stories.org a solicitud de Nadège Ango-Obiang.
Publicado en e-Stories.org el 31.07.2011.

 
 

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